Le Covid a donné un coup d’accélérateur à la consommation de CBD, un extrait de chanvre, en France. Jeunes comme seniors apprécient son origine naturelle et ses présentations très variées pour lutter contre les insomnies, le stress ou encore la douleur. Difficile toutefois de s’orienter face à une offre pléthorique et encore très peu réglementée.

Charlotte avait déjà entendu parler du CBD par son fils, actif dans le milieu du skate, une discipline largement sponsorisée par les marques commercialisant ce composé du chanvre. « Le stress induit par le premier confinement m’a poussée à franchir le pas et à tester ce produit naturel d’abord sous la forme d’huile, puis comme arôme de cigarette électronique, à l’action nettement plus rapide, explique cette brune élancée aux yeux délavés. Je dois dire que c’était plutôt relaxant et que je le conseille volontiers autour de moi. » Comme ce cadre d’un groupe de médias, des dizaines de milliers de Français s’intéressent de près aux vertus potentielles de ce composé non psychotrope du chanvre que la Californie a été la première à populariser à partir de 2014.
Le cannabidiol bénéficie même depuis 2019 de la caution de l’OMS, qui a jugé qu’il ne provoquait pas de dépendance et ne méritait pas d’être sujet à des contrôles. Rien à voir avec le THC (ou tétrahydrocannabinol), cet autre dérivé du chanvre classé parmi les stupéfiants dans un grand nombre de pays dont la France. En quelques années, le marché du CBD axé sur le bien-être s’est développé pour atteindre 1 milliard de dollars dans le monde. Les Echos Etudes ont d’ailleurs publié cet automne un tour d’horizon très complet des perspectives du marché du CBD et du cannabis médical en France.
Apaiser les maux du quotidien
Les jeunes consommateurs apprécient son côté relaxant sans les inconvénients du THC. « C’est cool d’en consommer dans les soirées », s’exclame Claire, une trentenaire de la communication qui aime bien faire la fête. A l’heure de la mode des médecines douces, jeunes et moins jeunes voient là un complément, voire une alternative à des traitements lourds non dénués d’effets secondaires pour traiter les maux du quotidien comme l’insomnie, le stress, des problèmes digestifs, les règles douloureuses, les courbatures liées au sport, voire des pathologies plus lourdes du système nerveux central comme Parkinson ou la sclérose en plaques.https://73f1e3a2a5e452042f3f14581d55e983.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-38/html/container.html
Sujette à des crises d’anxiété, Claire a toujours un sachet de bonbons de CBD dans son sac au cas où. « C’est plus discret que les huiles essentielles », ajoute cette milléniale qui s’est laissée convaincre par une influenceuse qui affirmait bien gérer ses propres problèmes d’anxiété avec une jeune marque française de CBD.
En l’absence de réglementation bien établie et d’une bonne connaissance des médecins comme des pharmaciens, le bouche-à-oreille fonctionne très bien. Sur le conseil d’un proche, Candice a commencé progressivement à prendre du CBD en gouttes pour soulager des douleurs dorsales liées à une hernie discale, qui durent depuis trente ans. « Cet ami m’a apporté une solution qui me procure beaucoup de confort sans provoquer d’effets indésirables », explique cette quinquagénaire pourtant sujette aux allergies.
« J’ai tendance à en parler autour de moi », poursuit cette experte de l’événementiel, qui apprécie cette alternative à l’arsenal de médicaments dont certains lui faisaient l’effet d’être ivre, l’empêchant de prendre le volant, alors qu’elle vit en banlieue. « Je ne veux pas être un danger pour moi et les autres », explique-t-elle. « Le CBD me permet de rester autonome » sans pour autant devenir dépendante.

Médecin anesthésiste à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, le docteur Valeria Martinez reconnaît que de plus en plus de patients lui parlent du CBD. « Si les traitements habituels ne marchent pas, je leur dis pourquoi pas, mais en commençant par les huiles qu’on absorbe oralement plutôt que de le fumer pour voir si c’est efficace en augmentant progressivement les dosages. »
Si sa consommation ne semble pas créer d’addiction, elle peut s’accompagner d’effets secondaires plus ou moins prononcés comme la nausée. Paul qui avait testé des chewing-gums et Marie des infusions aromatisées au CBD, histoire de voir, ont été incommodés et ne sont certainement pas tentés de recommencer, même si les troubles gastriques ont été passagers.
Un million de consommateurs en France
Même les animaux familiers y trouvent leur compte. A Vannes, Solange en donne régulièrement au jeune chien qu’elle vient d’adopter pour lutter contre le mal des transports, sur le conseil du gérant d’une boutique spécialisée dans laquelle elle était entrée par hasard car elle venait d’ouvrir en bas de l’immeuble de sa mère. « Il était stressé car il n’avait pas l’habitude de circuler en voiture », explique cette buraliste installée dans l’une des charmantes maisons à pans de bois de la cité morbihannaise. Manifestement, le yorkshire terrier réagit bien puisque « ses symptômes se sont largement atténués », affirme sa maîtresse.
Entre ces diverses clientèles, la France représentera l’an prochain un marché de l’ordre de 1 million de consommateurs, selon le rapport parlementaire rédigé par la députée LREM Caroline Janvier. Face à cet engouement, l’offre ne cesse de s’enrichir à la fois en termes de produits et de circuits de distribution. « Ce qui rend le CBD assez unique, explique Ludovic Rachou, jeune startupeur du secteur et président de l’Uivec, le syndicat professionnel fraîchement constitué des industriels pour la valorisation des extraits de chanvre, c’est qu’on peut en mettre dans les produits et compléments alimentaires, les compléments alimentaires, la cosmétique et même les produits pour animaux. »
Une créativité sans limite
Huiles sublinguales, infusions, fleurs, patchs, crèmes, microperles, recharges de vapoteuse, bonbons, biscuits, pâtisseries et même barbes à papa : la créativité des entrepreneurs n’a pas de limite . Il suffisait de visiter la cinquantaine de stands du premier salon professionnel du CBD organisé à Paris en octobre dernier, porte de la Villette, par Patrick Bedué, pour s’en convaincre. Côté tarif, on en trouve à tous les prix, depuis les infusions autour d’une vingtaine d’euros la boîte de 50 sachets jusqu’aux flacons d’huiles sublinguales à 200 euros pour les plus chers, mais en moyenne c’est un produit relativement coûteux.
Venu de l’univers de la grande consommation, où il a créé deux marques de confiserie, Ludovic Rachou se dit très satisfait de l’accueil réservé aux deux marques qu’il a lancées depuis trois ans avec quatre autres entrepreneurs venus notamment de la pharmacie : Peace & Skin dans la cosmétique et Kaya dans le bien-être (chewing-gum, huile, etc.). Des produits aux emballages colorés jaunes, roses et verts vendus à la fois sur Internet, dans les points de vente spécialisés qui fleurissent un peu partout en France ainsi que chez… Monoprix !PUBLICITÉ
Dans les rayons de la grande distribution
Régulièrement à la pointe des tendances conso, Monoprix est la première enseigne de la grande distribution à avoir ouvert au printemps 2021 un corner spécialisé dans ces produits dits de bien-être, proposant notamment Harmony, une des premières marques lancées dans l’Hexagone. Mais le groupe a rapidement fait des émules, que ce soit Carrefour ou, plus haut de gamme, le BHV.
Ce dernier a proposé à la jeune marque française Divie d’installer d’août à octobre un pop-up au deuxième étage de son flagship parisien, juste à côté de l’escalier roulant central, entre la papeterie et les loisirs créatifs. « L’occasion de faire de l’image et d’aller au contact d’une clientèle qui n’entrerait pas spontanément dans une boutique de CBD », explique Alexandre Perez, le PDG fondateur de Divie.
Le 18 octobre, veille d’un week-end qui s’annonce particulièrement ensoleillé, des curieux s’arrêtent régulièrement sur le stand. Une quinquagénaire, qui avait entendu parler du CBD lors d’une émission de radio, se laisse convaincre d’acheter une boîte d’infusions pour remédier à ses insomnies. Quant au trentenaire barbu soucieux de « réduire son stress », il jette son dévolu sur une huile.
L’expérience du pop-up a été semble-t-il concluante pour le BHV, puisqu’Alexandre Perez a été contacté pour un deuxième test en novembre et décembre, cette fois-ci à Parly 2. Les huiles, qui nécessitent du conseil, seront placées à l’entrée du magasin, alors que les infusions seront proposées au rayon épicerie fine. Un joli coup pour une marque lancée sur le Net il y a moins d’un an. Aujourd’hui, Divie est distribuée dans 75 parapharmacies de Carrefour, ses infusions dans 460 points de vente de Casino et des négociations ont été entamées avec Monoprix.
L’alimentaire surfe sur la vague
Le CBD connaît également une vogue grandissante dans l’alimentaire depuis les eaux pétillantes jusqu’à la pâtisserie de haut vol d’un Philippe Conticini, auteur de Cirrus, un « gâteau nuage » au CBD. Si les alcooliers ont commencé à regarder le sujet depuis un an, ils attendent plus de clarté côté réglementaire pour avancer. Plus fonceur, le jeune David Migueres, venu du secteur du mezcal et d’autres alcools artisanaux, a lancé dès 2019 une eau pétillante. Commercialisée dans les restaurants, les épiceries fines ou encore dans quelques enseignes de grande distribution, Chilled devrait enregistrer cette année des ventes de 1,3 à 1,5 million de canettes. « A ces niveaux, nous sommes déjà rentables », explique son PDG fondateur.
Entre les sites français ou étrangers, les supermarchés, les boutiques spécialisées, les buralistes et les pharmacies, les consommateurs n’ont que l’embarras du choix. « En un an, plus de 1.500 boutiques spécialisées ont ouvert en France, soit six fois plus qu’en 2018 », explique Aurélien Delacroix, président du Syndicat professionnel du chanvre, devant une trentaine de professionnels venus visiter CBD Expo. Le phénomène n’est pas sans rappeler le boom des enseignes de vapotage il y a quelques années, avant que le marché ne subisse une sérieuse consolidation. Plus d’un créateur de boutique de CBD vient d’ailleurs de cette industrie, au point que certains s’interrogent sur la pérennité de cette nouvelle mode.
Descentes de police
La question mérite d’autant plus d’être posée qu’il y a encore deux ans les descentes de police dans les boutiques pour saisir certains produits et en exiger la fermeture n’étaient pas rares. Ce n’est que depuis le rappel à l’ordre de la Cour de justice européenne en novembre 2020 enjoignant à la France de respecter le sacro-saint principe de libre circulation des marchandises au sein de l’Union européenne que les ouvertures d’échoppes ont repris de plus belle.
Mais il y a un réel besoin de formation et d’accompagnement. Les syndicats du secteur mettent à disposition de leurs adhérents une assistance juridique sur la marche à suivre pour éviter toute mésaventure. Et l’université de Montpellier en association avec Paris-Saclay propose depuis peu un diplôme universitaire spécialisé sur le sujet. « Nous travaillons déjà à la deuxième promotion », explique le médecin généraliste Pascal Douek, co-organisateur de ce cursus et auteur d’un livre sur les vertus du cannabis médical (1).

Si les pays voisins autorisent depuis plusieurs années ce commerce d’un nouveau type, la France reste très frileuse sur le sujet, tant en matière de production que de distribution, en premier lieu en ce qui concerne la fleur. Une fleur que les consommateurs habituels d’herbe ont tendance à détourner de l’usage prévu, en infusion, pour la fumer.
Faute d’une réglementation claire, le marché du CBD manque de transparence. « Les consommateurs sont les premiers à en pâtir », souligne un industriel. D’après une étude de « 60 millions de consommateurs » publiée en janvier 2021, 70 % des huiles vendues en France ne contenaient pas le pourcentage de CBD indiqué sur l’étiquette ! Les acteurs de la filière appellent à une clarification, mais le moins que l’on puisse dire c’est que l’administration française traîne les pieds (voir encadré).
Encore beaucoup de pédagogie à faire
En attendant la mise en place d’une législation plus précise, les marques émergentes multiplient les gages de qualité et de transparence pour rassurer le client sur un marché à l’image encore un peu subversive, où certains ont tôt fait d’assimiler le CBD à une drogue. Cadre sous grosse pression et fumeur invétéré, Jean-Christophe testerait volontiers le CBD pour « réduire sa charge mentale » sur le conseil de son partenaire de tennis, mais sa femme, Cécile, le lui interdit formellement, de peur qu’il ne troque une addiction pour une autre. Il y a tout un travail de pédagogie à mener auprès d’un grand public peu au fait de la complexité de la famille des cannabinoïdes qui compte à ce jour une bonne centaine de composés différents.
La science elle-même n’a pas fini de découvrir l’étendue des propriétés et le mécanisme d’action de ces molécules (voir encadré). Identifié seulement dans les années 1970, le CBD intervient dans un grand nombre de réactions enzymatiques, ont montré des travaux réalisés dans les années 1990. « Mais pour en recueillir de réels bénéfices, il faut stimuler le système endocannabinoïde et en prendre régulièrement », recommande Pascal Douek. Sur le terrain, industriels et distributeurs ont compris que, pour durer, il fallait privilégier une communication plus transparente et veiller à la qualité des approvisionnements.
Même les entrepreneurs ne sont pas à l’abri de déconvenues. Quand Alexandre Perez a contacté la marque suisse réputée d’huiles sublinguales que consommait sa mère, pour monter son propre business de CBD, quelle ne fut pas sa surprise de s’entendre répondre que le siège de l’entreprise n’était pas installé dans la Confédération helvétique, mais en Europe de l’Est ! Résultat, l’ancien producteur d’émissions de télévision a préféré louer une parcelle à un agriculteur aveyronnais pour cultiver sa propre matière première.
« La production d’huile fait l’objet de trois analyses, dont deux effectuées par deux laboratoires différents, pour vérifier que le THC potentiellement présent ne dépasse pas le 0,2 % autorisé en France, explique ce quadragénaire. Nous appliquons le principe de précaution en interdisant la prise de nos produits aux femmes enceintes et avant de prendre le volant, car il y a toujours des traces de THC dans les produits. »
source: www.lesechos.fr